Longue Haleine - Magyd Cherfi & Samir Laroche
Au Jack Jack - MJC Louis Aragon, BRON
Interview dans la cour intérieure de la salle de concert le 9 mars 2017
Alicia : Comme je vous l'avais dit, je ne vous connaissais pas et, lorsque que j'ai fais mes recherches j'ai vu que vous étiez entre autre : écrivain, chanteur, parolier, poète… C'est beaucoup pour un seul homme ! Mais parmi tous ces titres, auquel vous identifiez vous le plus ?
Magyd Cherfi : Ce à quoi je m'identifie le plus vous savez, c'est l'écrit de manière générale. Pendant près de 25 ans j'ai été chanteur de rock ( Zebda ), on nous a donc toujours lié à la musique mais moi j'ai été le scribe de ce groupe, j'ai écrit les textes et puis les musiciens composaient de leur côtés. Et la réalité de ce groupe là, c'est que moi j'ai été le parolier, donc le littéraire ; qui rêvait d'écrire pour le cinéma, je rêvais d'écrire pour le théâtre, j’écrivais des chansons avec le doux rêve d'écrire des romans.
A: Ce qui s'est finalement réalisé !
M .C : Ça s'est réalisé, petit à petit sur le tard.
A : Là, nous allons assister à un spectacle qui m'est aussi totalement inconnu. Comment est ce que vous pouvez le définir ? J'ai lu que c'était un mélange entre plein de choses : c'est un mélange avec des extraits de vos romans, avec des morceaux de votre album solo, d'autres morceaux cultes de votre groupe…
M.C : C'est une espèce de one man show littéraire pour être tout à fait précis. Je ne fais donc pas que lire, je joue, un peu comme un comédien. Je m’appuie sur mes textes, qui sont en fait des extraits de mes trois bouquins, les plus révélateurs en quelque sorte. Donc le premier : Livret de Famille ; La trampe et Ma part de Gaulois, donc voila je raconte mes petites histoires et puis je les illustres par une chanson.
A : C'est un joli mélange…
M.C : Oui c'est une synthèse de jeu de comédien, de lecture avec une couverture littéraire et puis de musique avec le message sous-jacent permanent.
A : D'accord, très bien. J'aimerai dériver sur autre chose : je suis au lycée, on à tous plus ou moins entre 15 et 18 ans là bas et je suppose que vous lisiez à cette époque. Donc j'aurai aimé savoir quel est l’œuvre littéraire qui vous a marqué dans votre jeunesse/adolescence ?
M.C : J'ai été marqué par 24h de la vie d'une femme de Stephan Zweig, par Mme Bovary de Flaubert et les copains me regardaient et se disaient « Mais qu'est ce que c'est que ce naze qui lit des trucs imbuvables ?! », parce que c'est vrai c'était cette espèce de littérature du 19eme un peu particulière. Mais moi ça m'a parlé ; je me suis glissé dans la peau de cette Bovary et j’ai peu à peu eu l'impression que c'était moi, enfermé longtemps dans un couvent…
A : A souffrir le martyr ?
M.C : Ouais et à rêver de grands élans romantiques. Et puis à finalement découvrir la vie à 18 ans, à découvrir le réel qui est cauchemar et ou il faut se battre.
A : C'est un peu violent non ?
M.C : Oui, mais je le dis de manière un peu romanesque. Enfin voila, longtemps j'ai été enfermé dans un romantisme comme ça en me disant « Un jour je serai Flaubert ! » et puis à 50 ans passé je me dis « Bon, bah je serai Magyd ».
A : Vous savez, je pense que ce n'est pas plus mal, il n'a jamais eu la vie facile, particulièrement en amour ! En tout cas si il y a des auteurs que vous admirez il y a forcement des auteurs ou des genres que vous aimez moins n'est ce pas ?
M.C : Oui, il a des choses que j'aime moins, par exemple je ne lis pas de roman noir, policier ou historique. En fait j'aime surtout les trames sociales et c'est ce que je fais avec mes bouquins : raconter la misère du monde et montrer l'impossibilité de s'extraire de l'obscurité pour les gens d'en bas ou alors, l’éventuelle possibilité de s'en extirper et le prix qu'il faut pour s'en soustraire.
A : C'est très pessimiste ça non ?
M.C : Non, c'est la vie ! Quand vous êtes en bas vous avez très peu de chance d’accéder aux meilleurs étages, la vie est ainsi faite et autant le dire. Si t'es fils ou fille d'ouvrier t'es cuis, et si tu veux y arriver il va falloir déployer beaucoup plus de moyens et d'énergie de quelqu'un autre . Mais il ne s'agit pas d'être optimiste ou pessimiste c'est juste que quand vous arrivez de trop bas vous avez beaucoup de difficultés à vous élever.
A: Pour finir comme je vous l'avais déjà dis je n'ai pas lu votre livre comme la plupart des gens de mon lycée d'ailleurs et je voudrais savoir pourquoi est ce que je devrais le lire. Qu'est ce qu'il va m'apporter ?
M.C : Ce qui est intéressant c'est que moi, je suis fils d’Algérien et j'ai voulu raconter une histoire aux français blancs, une histoire de français pas blanc. Parce qu'il y a les livres d'Histoire qui racontent celle d'une France blanche, catholique, éternelle… Et aujourd’hui 'hui il y a une nouvelle France qui existe depuis quelques décennies qui n'est ni blanche, ni catholique ni éternelle d'ailleurs dont on ne parle jamais et j'ai eu envie de dire « Hey ! Les français on est là ! On existe ! ». Donc c'est ma façon à moi de dire que j'existe.
Il n'y a pas grand-chose à rajouter à tout cela, il décrit parfaitement son spectacle et c'est donc à ce one man show littéraire que j'ai assisté. Un spectacle tout en contraste : doux et tonique à la fois, au message profond dans une ambiance légère sous les yeux d'un publique très concentré et surtout réactif ! La salle chante, ri, et prête une oreille très attentive à tous les messages sous-jacents. Nos yeux sont rivés sur ce bonhomme à la voix rauque et à l'accent chantant. Un spectacle habile qui nous fais comprendre la difficulté d’intégration de ces français, enfants d'immigrés, qui habitent dans les quartiers et les logements sociaux, le tout sans en faire une tragédie racinienne : le message n'en passe que mieux. La salle déborde de rire et de bonne humeur dans cette ambiance jazz piano-bar mais à l’intérieur de chacun, ça cogite, le cerveau et le cœur s'excitent et ne demandent qu'à entendre ce que l'artiste revendique.
Alicia. D